11. Regarde ce qui s’offre à toi

– Allez, Paul ! Descends ! Qu’est ce que tu fabriques ?

Riley était au pied de l’escalier, en train de hurler.

Les vagues étaient énormes et, un peu plus tôt dans la journée, ils étaient convenus d’aller surfer si ça continuait. Elle était impatiente car elle savait que l’océan pouvait changer d’un instant à l’autre. Ces derniers temps, Paul l’agaçait un peu.

– Entre. J’arrive dans une seconde !

– Non, retrouve moi sur la plage, répliqua telle en refermant la porte derrière elle.

Elle n’aimait pas cette maison. Jamais elle n’y pénétrait. C’était le genre d’endroit que non seulement elle détestait, mais qui en plus l’angoissait. Auparavant, lui semblait il, les maisons étaient pleines de sable, les fenêtres et les portes restaient grandes ouvertes, les céréales ramollissaient dans leur paquet à cause de l’humidité et, partout, dominait l’odeur de la mer. Même celle-ci avait été ainsi autrefois. Désormais les villas étaient aseptisées et leurs ouvertures scellées, les climatiseurs tournaient accrochés aux fenêtres ou cachés dans l’appentis, les dés humidificateurs bourdonnaient et vibraient ; on aurait dit qu’un virus s’était propagé dans toute l’île, contaminant un foyer après l’autre. Rénovations, lave-vaisselle, meubles design et rideaux épais pour préserver l’intimité ; un vrai décor de théâtre, où les gens prenaient la pose mais ne vivaient pas vraiment. Seule sa propre maison trouvait grâce à ses yeux.

Lia, la mère de Paul, était comme sa villa : d’une beauté glacée et impitoyable.

Riley avait appris à se méfier des très belles femmes, sans doute à cause de Lia, qui se servait de ses atouts pour manipuler les autres.

Elle était obligée de faire une exception pour Alice. Elle avait secrètement espéré que sa sœur ne se classerait pas parmi cette catégorie, mais il semblait que si – et sans faire d’effort particulier, en plus. Sans avoir la beauté des tyrans, elle pouvait cependant faire souffrir. Mais c’était Alice, alors elle lui pardonnait.

En regardant la maison depuis la plage, elle osa s’avouer pourquoi elle était mal à l’aise. Parce qu’Alice passait la nuit dehors pour ne revenir qu’à l’aube, pensant que personne n’avait remarqué son absence. Parce que Paul oubliait de venir comme d’habitude pour déjeuner ou jouer au poker. Riley refusait d’en tirer des conclusions. Mais elle savait qu’ils étaient chez Paul. Dans la villa de Lia.

Elle était triste qu’il ne cherche plus à ruser pour passer le plus de temps possible chez eux, comme autrefois. Il ne faisait plus semblant de s’endormir sur le canapé pour qu’ils n’aient pas le cœur de le renvoyer chez lui, le soir. Maintenant il restait dans son immense villa glaciale. A attendre qu’Alice le rejoigne.

Cette nuit là, Alice rêva qu’elle était enfermée à l’intérieur de la maison, elle savait – comme on sait dans les rêves – qu’elle ne pouvait pas sortir, qu’elle n’avait même pas essayé d’ouvrir les portes. Elle avait la drôle d’impression que la maison ne touchait plus terre. Elle voulait regarder dehors, mais n’arrivait pas à voir par les fenêtres. Ce n’était plus des ouvertures sur le monde, mais de simples images de ce qui entourait le bâtiment, le ciel, les roseaux, la villa de Paul.

Soudain, elle n’était plus devant ces photos mais devant une pile de linge sale et elle fouillait, fouillait, cherchant le gilet de sauvetage de Riley, car sa sœur en avait besoin et, dans le rêve, elle n’en avait qu’un seul.

Au petit matin, Alice se réveilla en sursaut, le dos trempé d’une sueur glacée. Elle se brossa les dents, se rafraîchit le visage, fit quelques pas dans sa chambre sans parvenir à se débarrasser de la désagréable impression que lui avait laissée ce cauchemar.

Sans plus réfléchir, elle enfila un short et un teeshirt et courut pieds nus jusqu’à la plage de Riley.

Elle fut rassurée de trouver sa sœur perchée en haut de sa chaise, dans son gilet de sauvetage rouge, le regard perdu au loin, fidèle à elle-même. Elle tenta de l’appeler, non qu’elle ait quoi que ce soit à lui dire, juste pour lui faire coucou. Mais le vent lui renvoya ses cris et Riley ne sembla pas l’entendre.

Lorsque la coursière de chez FedEx sonna en fin de matinée le lendemain, Paul se douta que c’était encore une assignation ou un recommandé quelconque. Impossible de faire comme s’il n’était pas là puisqu’il avait déjà ouvert la porte.

Il savait que c’était un courrier d’avocat. Il n’avait même pas besoin de regarder. Sans aucun doute de la paperasserie extrêmement urgente, requérant au minimum trois signatures, qu’il allait s’empresser de jeter et d’oublier. Ses grands-parents confiaient leur sale boulot à leurs avocats. Lui, il le confiait à la poubelle. Il signa « Paul McCartney » sur le récépissé et prit le paquet.

Où qu’il soit, ils le retrouvaient toujours. Un coursier en uniforme avait même traversé le parc national de King Canyon pour lui remettre un pli. Dans ses pires accès de paranoïa, il s’imaginait parfois que ses grands-parents lui avaient fait implanter un émetteur GPS dans la cheville pendant son sommeil.

Il retourna à son bureau, larguant le paquet sur une pile de paperasse. Il fixa son écran et pensa à Alice jusqu’à ce qu’elle apparaisse en chair et en os devant lui, sans bruit, comme portée par le vent.

– Tu as vu la plage ?

– Seulement par la fenêtre.

– Elle te plairait.

– Approche, dit il.

Le problème avec leur nouvelle relation, c’est qu’il avait tout le temps envie de la toucher.

Lorsqu’elle fut à sa portée, il l’attira sur ses genoux. Instantanément ses lèvres furent sur les siennes et ses mains sous son petit haut.

– Tu as fini le boulot pour aujourd’hui ? demanda-t-il, plein d’espoir.

– Je reprends à deux heures.

– Tu m’as manqué.

Oh, il se surprenait à dire de ces trucs ! Il s’était toujours figuré que les couples échangeaient ce genre de banalités pour bien asseoir leur statut d’amoureux. Il n’aurait jamais imaginé que ces mots s’échapperaient un jour de ses lèvres sans qu’il puisse les arrêter.

– J’adore quand tu es en minijupe, lui dit il en soulevant ladite jupe.

Il avait un préservatif dans sa poche. Il en avait en permanence sur lui désormais. Il en avait même un dans sa chaussure. Il lui aurait fait l’amour au rayon conserves de l’épicerie si ça n’avait gêné personne.

En un peu plus d’une semaine de pratique intensive, il avait appris à se débrouiller avec ses soutien-gorge les plus capricieux, tandis qu’elle acquérait une technique de pointe pour le débarrasser en vitesse de son pantalon. Ils n’avaient même pas besoin de marquer un temps d’arrêt ou de changer de position. Toujours sur ses genoux, face à lui, elle lui passa les bras autour du cou et l’aida à entrer en elle. Il poussa un gémissement de contentement. Avant il se forçait à manifester son plaisir pour flatter sa partenaire, alors qu’avec Alice, il ne pouvait pas se retenir.

Il avait l’impression que plus rien ne l’intéressait dans la vie à part faire l’amour à Alice. Il ne pensait qu’à ça, il n’avait envie que de ça. Quand ils se seraient un peu calmés, il pourrait essayer de travailler sur son mémoire dans cette position. Et Alice, que ferait elle ? Elle pourrait lire, écrire ou noter des devoirs. Il faudrait qu’il lui soumette son idée. Ils deviendraient alors le premier couple à réussir leur carrière en faisant l’amour. Impossible d’enseigner à la fac ou d’assister à des réunions, mais ils pourraient se servir des nouvelles technologies, comme la téléconférence. Il faudrait qu’Alice oublie ses ambitions d’avocate, ce qui valait mieux, de toute façon.

Il lui embrassa les cheveux, l’oreille, les paupières. Il était heureux.

Après avoir joui, elle, puis lui, ils s’affalèrent un long moment dans les bras l’un de l’autre.

Puis elle dut partir travailler. Il la regarda, assise sur son bureau, rattacher son soutien gorge et se faire une tresse. Elle savait si bien s’y prendre.

Elle était en train de lui parler de Gabriel, un gamin de quatre ans qui avait jeté le train électrique de son grand frère dans les toilettes. Paul l’écoutait – si, si, il l’écoutait vraiment –, admiratif. Quand on est amoureux, on se met à admirer de drôles de choses chez l’autre : son don pour rendre ses livres de bibliothèque en temps et en heure, ou pour couper les concombres en tranches fines. Alice était une experte dans l’art d’ôter les échardes de ses pieds.

C’était fou de se laisser aller ainsi. De laisser sa vie se dérouler devant soi sans autre projet que de faire l’amour. Ça semblait inimaginable. Ou tout du moins interdit par la loi.

Peut-être étaient ils tous deux tombés dans une sorte de faille intersidérale où l’on ne pouvait faire autrement que d’être heureux en permanence ?

Il savait que c’était faux, mais que savait-il vraiment, maintenant que toutes ses convictions avaient été ébranlées ?

C’était incroyable. C’était impossible. Ça lui retournait les neurones.

Il aurait été prêt à croire que la vie était une suite ininterrompue de souffrances, mais ça, non. Ça, jamais il ne l’aurait imaginé. Il se retrouvait dans la peau d’un rat de laboratoire, conditionné à souffrir, complètement perdu, et regrettant à moitié son ancienne existence.

Alice se leva et lui donna un petit coup de pied affectueux. Non, il ne regrettait rien du tout.

– C’est quoi ? demanda-t-elle.

– Un truc que m’ont envoyé les avocats de mes grands-parents.

Même cette enveloppe ne pouvait miner son optimisme.

– Tu ne l’ouvres pas ?

– Non ? Ce doit être un document que je suis censé signer pour virer une somme d’argent du compte de ma mère au mien, je suppose.

Il haussa les épaules.

– J’ai faim. On a le temps de faire des œufs brouillés.

– Vite fait, alors. Tu vas signer ?

– Non, je refuse systématiquement.

– On a le temps pour les œufs brouillés, mais pas pour la recette spéciale du chef.

Il prit l’air déçu. La dernière fois, ils avaient fait l’amour dans le cellier pendant que les œufs cuisaient et les toasts avaient brûlé.

– Oh, s’il te plaît ! C’est ceux que je préfère ! Elle consulta l’horloge de l’entrée.

– Bon, d’accord.

Il la regarda casser les coquilles (d’une main experte) et poussa un soupir. C’était plus fort que lui. Si l’histoire d’Alice et Paul devait s’arrêter là, ce serait un conte de fées.

  

– J’ai appris que Lia était venue, commença Judy.

Mm ! Ouais.

Sa vie avait connu un bouleversement si radical depuis qu’il avait presque oublié le passage éclair de sa mère.

– Comment va-t-elle ?

Judy avait pris son air fouineur, son ton fouineur, mais Paul s’efforça de ne pas s’en irriter. Il voyait ses défauts aussi clairement que s’il était son fils, mais il lui pardonnait car il n’était que le voisin d’à côté.

Il jeta un coup d’œil vers Ethan.

– Toujours pareil.

Alice était assise en face de lui, un pied sous les fesses. Non, non, il ne fallait pas qu’il laisse son esprit s’égarer sous sa jupe ; mais le simple fait de s’interdire d’y penser faisait qu’il y pensait. Aïe, aïe, aïe ! c’était de pire en pire.

– Je ne l’ai pas vue, intervint Riley. Je ne savais même pas qu’elle était là.

« Parce que je t’évitais », répondit Paul dans sa tête.

– Tu as assez mangé ? demanda Ethan en se levant pour débarrasser la table.

– Oui, merci, affirma Paul.

Il ne voulait plus de pâtes, mais il avait encore faim d’Alice. Pourtant, alors que c’était elle qui avait insisté pour qu’il vienne dîner, elle refusait de le regarder.

– Si tu ne viens pas, ça va paraître bizarre, avait elle dit en passant en vitesse dans sa chambre en fin de journée, sans le laisser la déshabiller.

– Et si je viens, ce ne sera pas bizarre, selon toi ? avait-il répliqué.

– Tu viens toujours quand mon père fait des pâtes, avait-elle affirmé, et elle avait raison.

Il avait développé un tel sens de l’odorat qu’il savait ce que ses voisins allaient manger, même quand le vent soufflait dans la direction opposée.

– Et je suis censé ne pas te toucher, c’est ça ?

– À moins que tu ne veuilles les mettre au courant.

– Ouais, pourquoi pas ? avait-il répondu. Elle l’avait fixé comme s’il avait perdu la tête – ce qui n’était pas faux. Il ne savait plus vraiment ce qu’il pensait à propos de quoi que ce soit. Ses certitudes s’étaient effondrées et il les avait piétinées gaiement. Il aurait fallu qu’il les recolle morceau par morceau pour essayer de savoir ce qu’il avait dans le crâne.

– Elle était contente d’être là ? insista Judy. Paul pensa au pli ouvert sur son bureau. La sincérité n’était pas vraiment son fort.

– Pas plus que la dernière fois.

Dans la cuisine, Ethan lavait la vaisselle en chantant un tube de Bruce Springsteen qui passait à la radio.

– Elle va garder la maison ?

Voilà ce qui perturbait Judy. Elle comprenait le mari drogué, la famille en miettes, la vie aux quatre coins du monde. Mais posséder une villa sur cette île – un bien qui valait bien plus que le leur – et ne jamais y aller, ne pas le louer ni le vendre, voilà qui la dépassait. Là, Judy ne suivait plus Lia.

– Eh bien, en fait, non.

L’espace d’un instant, l’expression d’Alice les trahit. Quoi ?

Riley, qui se balançait, fit violemment retomber sa chaise sur ses quatre pieds.

– Elle la vend ?

– Hum…

Il sentait les yeux d’Alice le transpercer.

– Pas vraiment. En fait, elle me la donne.

– Elle te la donne ? répéta Judy.

– J’ignore pourquoi. Elle a signé les papiers. Je croyais qu’elle ne pouvait pas le faire sans ma signature, mais visiblement si. Je n’ai pas mon mot à dire.

Alice avait la tête d’un pilier de bar qui mourait d’envie de le sortir sur le parking pour le transformer en punching-ball. D’accord, il aurait sans doute dû le lui dire, mais elle avait passé tout l’après-midi à travailler.

– Tes grands-parents doivent être contents, commenta Judy.

Elle manquait parfois vraiment de tact, surtout quand elle avait l’impression, souvent à tort d’ailleurs, que l’affaire la concernait.

– Et tu n’en veux pas ? s’étonna Alice.

– Je la veux bien, moi, intervint Riley.

– Je préférerais la vôtre, répliqua-t-il sans réfléchir.

– Mais la tienne vaut dix fois plus, fit remarquer Alice, toujours pragmatique.

– Non, affirma-t-il.

Il avait passé beaucoup de temps à réfléchir à la valeur de l’argent. Il avait conscience que tout ne pouvait pas s’acheter.

– Qu’est ce que tu vas faire ? demanda Judy.

– Aucune idée. J’ai appris la nouvelle cet après-midi.

En réalité, il savait qu’il allait la vendre. Il avait la conviction – l’une des rares qui ne s’étaient pas effondrées – qu’il n’était pas le genre de personne à posséder une villa de multimillionnaire en bord de mer, même si depuis peu il avait plaisir à y vivre.

– Alors tu as fini par l’ouvrir, cette enveloppe, remarqua Alice en le raccompagnant chez lui.

          – Après ton départ. J’ignore pourquoi.

– Sacrée baraque en tout cas ! s’exclama telle en levant la tête.

– Merci.

– Il faut que je rentre finir la vaisselle.

Il lui prit la main pour l’attirer hors du sentier, dans l’ombre, puis il l’embrassa.

– On va attraper des tiques, protesta-t-elle faiblement.

– Je vérifierai que tu n’en as pas tout à l’heure.

Oooh…

– Viens ce soir, je t’en prie.

– Je sais pas. Ma mère a des oreilles bioniques. Allez…

Il prenait souvent un malin plaisir à refuser aux gens ce qu’ils désiraient le plus. Dieu merci ! Alice n’était pas comme ça.

– OK, fit elle.

Et, fidèle à sa promesse, Alice le rejoignit avant minuit.

– Judy se doute de quelque chose ? s’enquit il en levant les yeux de son ordinateur.

– Non, j’ai été discrète.

– Bien joué, agent Alice. Elle s’assit sur son lit.

– Mais à mon avis, elle serait contente d’apprendre que je sors avec quelqu’un.

– Tu crois ?

– Elle ne supporte pas qu’on vive notre vie, mais elle ne supporte pas non plus qu’on dépende d’elle.

– C’est ce qu’elle s’imagine ?

– Elle s’inquiète pour nous, je pense. Surtout pour Riley.

C’était un terrain glissant. Paul savait ce qui inquiétait Judy, mais il n’avait aucune envie d’en parler, et encore moins avec Alice. Il considérait Riley comme sa sœur, sa vie sexuelle était donc un sujet tabou. Etait elle lesbienne ? Avait-elle seulement une sexualité ? Souffrait elle d’être seule ? Les gens se posaient des questions, il le savait, mais il avait toujours refusé de la trahir en s’interrogeant lui aussi. La trahir encore.

– Et toi ? Pourquoi s’inquiéterait elle pour toi ?

– Parce que je ne sors pas avec des garçons. Il sourit.

Ah bon ?

– Un seul, alors.

Ils firent l’amour dans son lit, puis se préparèrent un chocolat chaud, tout nus, dans la cuisine. Tant pis si le cacao datait des années 1980. Alice trouva une pomme dans son sac et ils se battirent pour l’avoir, aussi affamés l’un que l’autre. Finalement, ils décidèrent de se la partager en croquant chacun leur tour.

Qu’allait il faire de tout ce qu’il y avait dans cette maison quand il la vendrait ? Etait il prêt à trier les affaires de son père ? Qu’était il censé en faire ? Il était peut-être temps que quelqu’un y réfléchisse.

Il regarda Alice, assise sur le plan de travail, sa tasse de chocolat chaud à la main, ses courbes mises en valeur par la douce lumière filtrant du cellier. Cela suscita une émotion profonde en lui. Le désir, bien sûr, mais pas seulement. Comment pouvait il vendre cette maison ? Le plan de travail où Alice avait posé ses fesses ? L’évier où elle avait jeté son trognon de pomme ? La boîte de cacao en poudre des années 1980 ?

Plus tard, alors qu’il la regardait dormir dans son lit, cela le reprit. Un écho du futur. Qui l’appelait, lui disait de regarder. « Regarde ce qui s’offre à toi. »

Par principe, il avait toujours refusé de penser au futur. Il avait rejeté la plupart des choses qu’il désirait ou qui lui faisaient du bien. Il s’en méfiait. Il ne voulait pas se laisser corrompre.

Et maintenant ? Maintenant, il voulait Alice dans son lit. C’était ça qui lui faisait du bien. Il voulait Alice dans son lit avec lui sous ce toit, à jamais. Il avait l’impression qu’il venait de se jeter de son trapèze, et de faire volteface pour attraper celui qui volait dans l’autre sens.

Et s’il gardait la maison ? C’était impensable, mais… Et si ça devenait la maison d’Alice ? S’il la gardait pour elle ? Et s’ils décidaient d’y vivre pour continuer à donner des noms aux plages même quand ils seraient vieux ? S’ils s’achetaient des pliants pour passer leurs journées à lire des romans policiers au bord de l’eau, comme tous les retraités ? S’ils faisaient des bébés qui deviendraient des enfants et iraient massacrer coquillages, poissons et crabes ?

Et s’il apprenait à apprécier ce qu’il avait entre les mains ? S’il apprenait à s’aimer ? S’il restait pour en profiter ? Ses pensées l’entraînaient dangereusement loin, mais il n’y pouvait rien. Et s’il habitait dans cette maison avec Alice ?